• Noms et numéros des rues.

    Héritées du Moyen-Age, les anciennes localisations de quartiers et de rues dans nos villes étaient souvent énigmatiques pour le visiteur de l'Ancien Régime. Telle famille habite dans la paroisse Saint-Nicolas, à la Grande Borne, près de la maison où pend l'enseigne « A l'auberge du gros tonneau ». Casse-tête à une époque où les rues n'ont pas encore de nom et les maisons aucun numéro. Une ordonnance royale, en date du 1er Mars 1768, prescrira enfin la numérotation des maisons, rue par rue, dans toutes les villes de France. Celle-ci reprend, en fait, une exigence militaire qui faisait que, pour loger plus rapidement chez l'habitant, les troupes fatiguées par une journée de marche, les fourriers indiquaient à la craie, sur les portes des maisons, des numéros qu'ils communiquaient aux soldats. A l'exception des miséreux et de quelques privilégiés, les habitants étaient tenus d'héberger chez eux, à tour de rôle, les soldats de passage. Cette obligation était fort impopulaire puisque de bons bourgeois devaient accueillir dans leur foyer des soudards qui n'étaient pas des modèles de bonne éducation ( les officiers, plus raffinés, descendaient dans les auberges ). Quand une unité prenait ses quartiers d'hiver, les maréchaux des logis avaient donc les pires difficultés pour caser les hommes à travers toute la ville. L'ordonnance de Louis XV de 1768 tente donc de remédier à cette difficulté. Les villes s'y plieront avec peu d'empressement.

    La nomenclature officielle des noms de rue ne vient qu'après, en 1784, avec la gravure artisanale de lettres creusées dans la pierre au coin de chaque rue, afin que celles-ci fussent repérables par un nom spécifique. Les pierres gravées d'origine ont malheureusement pratiquement toutes disparu avec la Révolution mais les noms sont restés, mémoire d'une activité perdue, faisant chanter parfois le passé d'une évocation poétique ou énigmatique.

    Rien qu'à Paris, la « rue du chat qui pêche » ou la « rue du Bac » ( lequel permettait la traversée des blocs de pierre pour la construction des Tuileries ), la « rue Vide-Gousset » ( à cause des vols ), la « rue de l'arbalète » ou encore le « Cimetière des Innocents » en témoignent. On sait que la « Cour des Miracles », rue Damiette, voyait tous les mendiants «  handicapés » retrouver le soir une parfaite agilité, sitôt passé le périmètre contrôlé par eux.

    Pourtant, cette pratique commode de désignation des rues et des maisons ne fut pas reprise par les nouveaux conquérants des Amériques. Aux Etats-Unis, les rues n'ont pas de noms mais on se rencontre à l'angle de la VIème et de la VIIème avenues. D'autres procédés ont été utilisés, au travers des âges, comme cette tradition de suspendre une lanterne rouge sur le devant d'une maison close ( reprise, cette fois, aux USA, en red light ) ou d'y faire figurer le numéro en chiffres énormes ( donc évidents ).

    Il est dommage que les enseignes des rues et des commerces du Moyen-Age, si truculentes, n'aient pas été conservées. Pourquoi Voltaire a-t-il voulu remplacer « cul-de-sac » par « impasse » ? Oserais-je vous rappeler que la « rue Réaumur », physicien français, était celle où les dames attendaient à l'air libre, appuyées aux murs, rue que les clients nommaient donc « raie au mur » ? On ne sait plus rire, nous sommes devenus « coincés ».


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :