• Déclenchés, dès la Toussaint 1954, par l’assassinat d’un instituteur et sa femme et la destruction de plusieurs fermes, les « événements » dans les trois départements français d’Algérie, que l’on tardera à nommer « guerre », vont durer pendant 8 ans et les exactions sanglantes perdureront bien après les « accords d’Evian » du 18 mars 1962.

    On a peine à imaginer, aujourd’hui, les dizaines de morts presque quotidiens perpétrés par les attentats aveugles des membres du FLN, front de libération nationale, sur la population civile européenne de plus d’un million qui, installée et travaillant en Algérie depuis la reconquête sur les pillards dès 1830, avait eu le tort de mettre en valeur ce pays, en bonne entente avec la population musulmane ou juive locale. Pour enrayer cette vague mortelle et rétablir l’ordre, le gouvernement de Pierre Mendès-France avait envoyé l’armée, impliquant de plus en plus de soldats du contingent durant leur service militaire de 18 mois. On partait « rétablir l’ordre » en faisant confiance au ministre de l’Intérieur, le tout jeune François Mitterrand, qui disait que « l’Algérie, c’est la France, … partout la loi s’impose et cette loi est la loi de la France », alors que c’était une vraie guerre (400.000 soldats par roulements) qui a nécessité une grande planification et des opérations commandos sur tout le territoire algérien en insurrection.

    Le général Massu, le colonel Bigeard, et bien d’autres, ont finalement rempli leur mission qui était de mettre fin à ce régime de terreur permanent, grâce à un effort gigantesque sur le renseignement de proximité et un cloisonnement général. Du point de vue militaire, la guerre d’Algérie a été gagnée par l’armée française, même si ce bilan fut terni par les attentats de l’OAS, organisation de l’armée secrète. Mais, sur le plan politique, elle a été perdue et ce sont les indépendantistes qui sont sortis vainqueurs.

    Le général de Gaulle, qui comptait beaucoup sur le Sahara, a été conduit à changer son fusil d’épaule après qu’il se soit progressivement convaincu que le maintien de millions de musulmans maghrébins dans le giron de la République française était impossible, entre un Maroc et une Tunisie fraichement indépendantes. L’autodétermination du peuple algérien prit le pas, dans son esprit, sur le « Je vous ai compris ». Dès lors, il accélère la signature d’accords avec les rebelles, le 18 mars à Evian, à vrai dire avec un seul représentant du GPRA, gouvernement provisoire de la République algérienne, Krim Belkacem, et Louis Joxe, ministre chargé des affaires algériennes. Il donne l’ordre du « cessez-le-feu » dès le 19 mars 1962 à 12 h que seules les troupes françaises vont respecter. C’est tout le paradoxe de ce terme de cessez-le-feu qui a engendré, parce qu’il n’a été respecté que d’un seul côté, plus de massacres en 4 mois que pendant les mois qui l’ont précédé.

    A peine le cessez-le-feu proclamé par le général Ailleret, l’armée française, disciplinée, obtempère et reste l’arme au pied dans ses casernes, pendant que les commandos FLN, sûrs de l’impunité et paradant, seuls, avec des armes dans toutes les villes, se livrent à des atrocités sur toute la population européenne et à des représailles immondes envers les pauvres Harkis supplétifs que les Français avaient désarmés, sur ordre, dès le 03 avril : enlèvements, viols, torture, mutilations diverses, eau bouillante, égorgements, etc …et ce, dans l’indifférence, disons plutôt la méconnaissance des Français de métropole qui approuvent, le 08 avril, le référendum sur les fameux accords que personne n’a lus.

    De mars à juillet 1962, 3.000 français disparaissent ou sont soumis à esclavage, des centaines de femmes violées dans les bordels du FLN. La quasi-totalité des Pieds noirs pourchassés envisagent de quitter « leur » pays et de se réfugier, en laissant tout derrière eux, en France où ils ne sont pas les bienvenus.

    Le 05 juillet même, jour de la proclamation de l’indépendance par Ahmed Ben Bella, 700 manifestants Pieds-noirs sont encore tués à Oran. Pour eux, c’est « la valise ou le cercueil ».

    Le 19 mars, que seule la FNACA commémore au nom des 2 millions de soldats du contingent pour qui, effectivement, ce fut la fin de la guerre en Algérie, ne peut donc raisonnablement pas être fêtée par la nation française pour qui c’est plutôt une date honteuse, un déshonneur ou une forfaiture. Honte d’un pouvoir qui se renie, honte d’une partie de l’armée qui exécute l’ordre de Christian Foucher, lequel fait tirer sur la foule, le 26 mars, rue d’Isly à Alger, honte surtout de ces rebelles du FLN qui, crachant sur ce qu’ils venaient de signer, se livrent à une chasse à l’Européen sans merci et massacrent, par dizaines de milliers, leurs propres frères Algériens considérés comme traitres.

    Non, décidemment, le 19 mars 1962 n’a pas été la fin de la guerre d’Algérie !

    Dans ces conditions, on peut comprendre le geste du maire de Béziers qui vient de débaptiser une rue de sa ville.


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  • En ce vendredi 15 août, jour de l’Assomption, tout le monde pense au débarquement de Provence en 1944. Je souhaite vous évoquer une autre histoire.

    Le royaume d’Ecosse, cette contrée inhospitalière au nord des îles britanniques, s’est constitué, au Moyen-âge, à la force du glaive par des peuples rudes et fiers. Ce furent, tour à tour, les Pictes alliés aux Scots venus d’Irlande, avant l’an 900, sous les règnes de Kenneth 1er Mac Alpin et Donald, premiers rois d’Ecosse, puis les Celtes bretons, les Angles venus de Germanie et enfin les païens Vikings scandinaves. De l’autre côté de la Manche, c’est l’époque de Charlemagne.

    On ne s’étonnera pas que la conquête du pouvoir de ce Scotland, royaume âpre et austère, se soit faite plus volontiers par l’usurpation brutale que par la négociation, le consensus ou l’hérédité.

    A la mort de Malcolm II en 1034, c’est son petit-fils Duncan qui est placé, à 33 ans, sur le trône d’Ecosse. Cela ne plait pas du tout au Comte de Moray (une province à l’Est des Highlands peuplée de Pictes puis de Vikings) nommé Macbeth, un rude guerrier jusqu’alors grand serviteur du roi, du fait que ce dernier pensait que le titre royal devait lui revenir car il avait épousé Gruoch, la petite-fille de Kenneth III, assassiné justement par le dit Malcolm II. Or, le système des Thanes (seigneur d’un Comté local), hérité des Celtes, établit que le droit au trône est conféré par la mère, ce qui légitimait Macbeth à ses yeux. Pendant 6 ans, il va ruminer sa colère et sa frustration, d’autant plus exacerbées que le nouveau roi Duncan, qu’il juge usurpateur, en vient à se mêler des affaires du comté de Moray, celui de Macbeth.

    C’est au cours de la bataille de Pitganevy (aussi nommée Bothnagowan), près d’Elgin, sur ses terres de Moray donc, que Macbeth défie le roi et ses troupes le 14 août 1040. Par traitrise vraisemblablement, il le fait assassiner, et se proclame Roi d’Ecosse à sa place. Il pensera expier son meurtre par un pèlerinage à Rome en 1050.

    Les deux fils de Duncan, Malcolm et Donald, s’enfuient en Angleterre mais n’auront de cesse de venger leur père.

    Le fier roi d’Ecosse, Macbeth, poursuit la politique de Malcolm II, l’un de ses prédécesseurs, et lève des troupes pour conquérir, lui aussi, la Northumbria, au nord-est de l’Angleterre sur la côte Est. Malcolm en avait conquit le Lothian jusqu’à la rivière Tweed au sud d’Edinburgh. Macbeth veut poursuivre encore plus au sud. Mais le 27 juillet 1054, à Dunsinane, près de Perth, il est battu par Siward, le comte de Northumbria, qui avait rassemblé une armée mixte composée d’Anglais, de Scandinaves et d’Ecossais. Entouré de Normands fidèles, Macbeth cède le Lothian et se réfugie plus au Nord.

    Or, Siward, le vainqueur de Dunsinane, appartient à la famille de la femme du futur Malcolm III, l’un des fils du roi Duncan que Macbeth avait malicieusement tué pour prendre sa place. Comme le monde d’Ecosse est petit !

    Depuis cette date fatidique de 1040, Malcolm n’a pas oublié la mort de son père et prépare sa vengeance depuis son exil anglais, c’est à dire renverser Macbeth qui se croit invincible. L’occasion lui en est donnée le 15 août 1057, à Lumphanan, 30 kilomètres à l’ouest d’Aberdeen. Au cours d’une escarmouche, les deux hommes se battent et c’est Macbeth qui est blessé, suffisamment sérieusement pour que la mort survienne à la suite des coups portés.

    Malcolm pense que son tour est alors venu de ceindre la couronne royale tant attendue mais tout le monde l’a oublié et c’est le fils de Lady Macbeth, la fameuse Gruoch, que les partisans de Macbeth, encore assez puissants, vont proclamer Roi à Scone (près de Perth). Le jeune Lulach, 25 ans, est bien fils de la veuve de Macbeth et d’un certain Gillcomean qui dirigea le Comté de Moray, avant que Macbeth ne l’élimine lui-même pour le remplacer à la tête du Comté mais aussi dans le lit de sa femme. Lulach est ainsi devenu son beau-fils.

    C’en est trop pour Malcolm qui monte une embuscade à Essie, le 17 mars 1058, dans la région de Strathbogie (sud de l’Ecosse, nord de Liverpool, Manchester actuels) et élimine ce rival jeune mais gênant. Dès lors, il se fait appeler Malcolm III, ce qui lui sied mieux que « Canmore », surnom qui veut dire « grosse tête ». Sa dynastie durera 200 ans jusqu’à l’avènement des Stewart.

    C’est ainsi que, par le glaive qui transperça Duncan, Macbeth et Lulach, fut donné un roi unique à l’Ecosse. Les guerres sur l’île de Bretagne insulaire n’en étaient pas finies pour autant. Bientôt, en octobre 1066, le dernier roi anglo-saxon d’Angleterre, Harold, devra s’incliner à la bataille d’Hastings, tout à fait au sud des terres anglaises, face au Français Guillaume de Normandie.

    Cette histoire n’aurait jamais été connue sans la curiosité de William Shakespeare qui s’en inspira, en la déformant, pour réaliser, en 1623, sa fameuse tragédie (ne dites pas Macbeth, ce qui porte malheur, mais The Scottish Play). Sans doute, 800 ans tout justes après les aventures du vrai Macbeth, faut-il aussi imputer cette mémoire historique à l’opéra musical de Giuseppe Verdi.

    Si vous passez un jour par Edinburgh, Glasgow ou Aberdeen, vous aurez peut-être la chance de voir un guerrier Gaël en costume d’époque perpétuer la danse victorieuse Ghillie Callum qu’avait engagée Malcolm à Dunsinane au dessus de deux épées croisées au sol, la sienne et celle de son adversaire.


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  • Avant même l’invention de l’imprimerie, les bibliothèques regorgeaient, depuis l’Antiquité, de livres, parchemins, rouleaux ou codex, relatant la vie et les croyances des peuples. Malheureusement, les incendies accidentels ou provoqués par des guerres ne nous en ont laissé que des bribes. Que penser, par exemple, de l’attitude de l’évêque conquistador espagnol Diego de Landa qui détruit systématiquement, en 1562, tous les documents écrits par les Mayas qu’il rencontre au Yucatan ? Par sa faute, et malgré les trois codex sauvés, nous savons si peu de choses sur cette civilisation précolombienne.

    Hélas, même au cours de la période moderne, l’obscurantisme n’a pas disparu des esprits de ceux qui s’imaginent effacer les idées, qu’ils jugent subversives, en éliminant leur support !

    C’est ainsi que le 10 mai 1933, devant l’université Humboldt sur la place de l’Opéra à Berlin, débaptisée depuis en Bebel Platz, des dizaines d’étudiants conditionnés par les Nazis, jettent puis brûlent des milliers de livres de dissidents au régime ou auteurs juifs « nuisibles » et honnis par nature. Les flammes emportent donc, pour un temps, sous les yeux ravis de Joseph Goebbels, ministre de la propagande du Reich, les œuvres de Berthold Brecht, Stefan Zweig, Sigmund Freud, Thomas Mann et même Karl Marx, pour ne citer qu’eux. Cet autodafé des livres s’étendra à de nombreuses villes allemandes comme Brême, Dresde, Francfort, Hanovre ou encore Munich et Nuremberg, tant la peur était grande de déroger à la règle imposée. Il sera suivi en 1939 par un bûcher équivalent devant l’université centrale de Madrid, à l’initiative de la Phalange franquiste qui y ajouta, cette fois, des peintures et les livres de Gorki, Lamartine, Rousseau et bien sûr Voltaire.

    Le mot autodafé vient du portugais « auto da fé » qui signifie acte de foi. Sous l’Inquisition, au XIIIème siècle, le dogme catholique imposait à tous un acte de foi avec repentance, sans lequel les « hérétiques » étaient condamnés par le tribunal de l’Inquisition (créé par le pape Grégoire IX lui-même) à des peines plus ou moins sévères, allant jusqu’à être brûlés en place publique pour les plus récalcitrants. La croisade des Albigeois en sera le point culminant. De célèbres inquisiteurs, chassant la sorcellerie, séviront encore jusque dans les années 1490, tels Thomas de Torquemada ou Jérôme Savonarole et son « bûcher des vanités » à Florence sur lequel les habitants sont contraints de jeter tous livres suspects et objets de luxe.

    De nos jours, sauf exception, on ne brûle plus que les livres, considérés comme des menaces par les manipulateurs de conscience. Ce fut le cas des bibliothèques détruites par les Talibans en Afghanistan à la fin du siècle dernier, de la mosquée rouge d’Islamabad en 2007, du Nouveau Testament brûlé à Or Yehuda en Israël en 2008. Ou alors, on menace de le faire comme ce pasteur fondamentaliste de Floride, Terry Jones, qui voulait brûler le Coran, le 11 septembre 2010 (anniversaire des attentats du World Trade Center).

    Toutes les religions ont cru au feu rédempteur et purificateur. Hélas, les livres ne sont pas des Phœnix. De nombreux ouvrages essentiels n’ont dû leur sauvegarde qu’aux copies fidèles de moines ou religieux qui les archivaient avec soin ou encore grâce à des traductions d’une langue à l’autre, comme du grec vers l’arabe ou le latin, par exemple.

    Curieusement, l’arrivée du numérique et de l’informatique n’ont pas fait fléchir les moralisateurs de tous poils, parfois des Etats souverains, qui tentent encore de faire taire les voix discordantes. Mais il sera vraisemblablement plus difficile d’organiser un autodafé d’ordinateurs ou de clefs USB.


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  • Régulièrement dépecée au cours de l’histoire par ses voisins prussiens, autrichiens ou russes, la Pologne va encore faire les frais d’un accord de partage, à la veille de la seconde guerre mondiale, lorsqu’Allemands et Russes signent le pacte Molotov Ribbentrop de non agression mutuelle. Les deux ogres s’approprient chacun la moitié du territoire polonais.

    Staline ordonne alors l’élimination, par le bras armé du NKVD (police politique), de toute l’élite polonaise, ingénieurs, professeurs, médecins, avocats considérés comme hostiles à l’idéologie communiste qui rejoindront dès 1940, dans les camps puis dans la mort, les milliers d’officiers polonais faits prisonniers.

    Lorsque l’opération nazie « Barbarossa » est déclenchée à l’été 1941, les soldats allemands vont découvrir, au fur et à mesure de leur avancée vers l’Est, des charniers où sont entreposés des centaines de corps, balle dans la nuque et mains liées dans le dos. Le premier de ces charniers sera mis à jour près de Smolensk, au lieu dit « Katyn », puis d’autres suivront bientôt, à Kharkov ou Tver par exemple.

    Ce massacre de Katyn, véritable symbole de barbarie, longtemps nié par l’URSS qui en est l’auteur, sera exploité par les deux belligérants à des fins de propagande. Il faudra attendre 1990 pour que Moscou reconnaisse, par la voix de Mikhaïl Gorbatchev, sa responsabilité.

    Depuis, des délégations polonaises privées se rendaient chaque année à Katyn pour honorer les victimes. En 2010, Vladimir Poutine accepte d’inviter personnellement et officiellement son homologue polonais à ces cérémonies souvenir.

    Le 10 avril 2010, le président polonais Lech Kaczynski se rend donc, accompagné d’une forte délégation officielle, au 70ème anniversaire du massacre. L’avion Tupolev TU 154, qui emporte de nombreux hauts responsables civils et militaires, dont des membres de la Diète et du Sénat, doit atterrir à Smolensk, à 22 km de Katyn. Mais la météo est mauvaise, le brouillard épais et l’atterrissage périlleux. Pourtant, l’équipage décide de tenter l’atterrissage et, après plusieurs approches vaines pour percer le brouillard, l’avion s’écrase à quelques dizaines de mètres du seuil de piste de l’aérodrome de Smolensk, faisant 96 victimes.

    Y a-t-il eu des pressions à bord, tant l’enjeu symbolique était fort ? Y a-t-il eu trop de confiance de la part des pilotes, estimant qu’ils ne devaient pas décevoir leurs passagers de haut rang ? Les boites noires font effectivement état de conversations de membres non autorisés dans la cabine de pilotage, notamment celle du général, chef de l’armée de l’Air. Il est vraisemblable que l’intimidation, la honte de faire demi-tour, l’excès de confiance, la conscience de l’instant historique, une erreur possible des contrôleurs aériens au sol, tout cela a joué dans la décision prise d’aller jusqu’au bout, alors qu’on n’y voyait rien à l’extérieur.

    Malheureusement, l’embellie entre les deux pays que constituait cette cérémonie commune à Katyn sera rapidement balayée par des accusations dépitées et infondées. Le propre frère jumeau du président, Jaroslaw Kaczynski, se laissant séduire par la théorie injustifiée du complot, les Russes multipliant les difficultés formelles durant l’enquête et refusant de rendre l’épave aux Polonais.

    Le destin est parfois cruel qui ne permet pas aux peuples de se repentir !


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  • Entre la France qui se relève de la Guerre de 100 ans et l'Empire turc de Constantinople, l'Italie de la Renaissance, en 1463, est divisée en principautés rivales. En février de cette année 1463, nait Giovanni Pico, fils d'un petit prince du duché de Ferrare. Par sa naissance, le jeune Giovanni est déjà Comte della Mirandola e Concordia. Faisons simple et appelons-le Jean Pic de la Mirandole.

    C'est un petit surdoué qui accapare les atouts : beau, riche, noble, intelligent, beau parleur, ayant une fabuleuse mémoire, ce qui lui permettra d'assimiler rapidement plusieurs langues étrangères orientales, du moins le laisse-t-il croire. A 14 ans, il entre à l'académie de Bologne et en sort, deux ans plus tard, spécialiste du droit canon. Passionné par la lecture des textes grecs anciens de l'Antiquité que l’on redécouvre à cette époque, il décide de s'instruire dans tous les domaines de la connaissance et entreprend un tour des universités les plus grandes de Rome jusqu'à Paris. Ce faisant, il se lie d'amitié avec des philosophes et des théologiens, tentant avec eux de concilier la philosophie de Platon et la théologie chrétienne et il se constitue une riche bibliothèque, vite réputée. Impressionnés par sa jeunesse, son éloquence et sa culture, les plus grands maîtres de l'époque l'invitent à leur cour. C'est ainsi qu'il est reçu par le roi de France Charles VIII et par le souverain de Florence, Laurent de Médicis dit le magnifique. C'est, en effet, de cette petite république de Florence qu’irradie le mouvement de la renaissance italienne.

    Pic de la Mirandole est curieux de tout, poésie, mathématiques, astronomie, littérature, arts, ésotérisme et surtout de sciences. Il écoute et lit les grandes thèses qui expliquent le monde, les sociétés, et en fait mentalement la synthèse qu'il délivre ensuite à des auditoires ébahis de tant de culture. Dans sa quête pour tout embrasser, il ne va cependant pas au fond des choses mais, charmé lui-même par les compliments qu'il reçoit, il se laisse persuader qu'il a acquis, à 23 ans, la connaissance générale de toute chose de son temps.

    Il lance alors un immense défi aux philosophes et théologiens les plus réputés de la Chrétienté qu'il convoque, à Rome s'il vous plaît, afin de les rallier à ses thèses, ou plutôt ses synthèses. Il en écrit 900 sur tous les domaines connus et, en guise d'introduction, rédige un discours « De la dignité de l'homme » qui restera célèbre, bien qu'il ne l'ait jamais prononcé oralement, et qui place l'homme au centre de l'univers, comme un condensé des qualités des autres êtres vivants mais avec, pour lui seul, la capacité de se déterminer vers un avenir qu'il peut façonner en bien ou en mal. L'homme seul, en effet, dit-il, possède le libre arbitre qui le fait être l'artisan de son propre destin.

    Ce sera un échec car, même s'il leur payait le voyage, très peu de savants répondirent à son invitation et, surtout, ses assertions déplurent à la commission papale qui en trouva 13 hérétiques. En refusant de se parjurer, Pic indisposa le Pape Innocent IV qui ne pourra que l'excommunier. On est en 1484 et Giovanni Pico s'enfuit à Paris. Mais en France non plus, on ne rigole pas avec des textes hérétiques et il est arrêté, emprisonné au donjon de Vincennes pour quelques mois. C'est Laurent de Médicis qui l'invitera à nouveau à Florence et le protégera jusqu'à sa mort en 1492. La disparition de ce prince florentin, rude en affaires mais qui aimait les arts, laissera la place à un moine intégriste et visionnaire, Savonarole, qui veut libérer la ville de Florence, clergé compris, de toute la débauche où elle se complaît depuis si longtemps. Ses méthodes trop brutales, cependant, pour éradiquer le luxe, notamment un grand autodafé de livres et de bijoux, récoltés de force, lui vaudront d'être pendu puis brûlé en 1498 par une population excédée.

    Entre-temps, ce Raspoutine italien avait su se faire un ami de Pic de la Mirandole qu'il accompagnera jusqu'à être à son chevet le jour de la mort de cet érudit, à 31 ans, le 17 novembre 1494, le jour même de l'entrée des Français dans la ville de Florence.

    On conservera de cet humaniste doué son érudition forcenée que ses contemporains raillèrent cependant en lui trouvant un côté trop superficiel. Pascal dira de lui qu'il se faisait fort de discourir « de toute chose connaissable », ce à quoi Voltaire ajoutait « et de quelques autres en plus ». Mauvais procès de jaloux, sans doute.


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