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Le Président a-t-il toujours sa connaissance ?
C’était au temps de la 3ème République dans ce beau pays de France qui avait inventé la révolution et la liberté des peuples. Mais le peuple ne désignait pas encore son président, c’est pourquoi les intrigues souterraines du Parlement faisaient et défaisaient les mandats plus vite que ne l’eût voulu la cohérence des actions.
C’était au temps où un maréchal, Patrice de Mac Mahon, se disait président monarchiste, où un président brillant mais malade, Paul Deschanel, tombait du train en pyjama, où un autre encore, Sadi Carnot, était assassiné sous prétexte qu’il avait mal géré un scandale d’Etat. Faut dire que les scandales refleurissaient à chaque printemps, scandale des décorations, de Panama, affaire Dreyfus, pour n’évoquer que les plus retentissants.
C’était donc à la fin du XIXème siècle, certes après la défaite de Sedan mais bien avant les traumatismes des deux guerres mondiales. L’exposition universelle de 1889, avec cette tour Eiffel « éphémère » a eu un assez beau succès et on prépare la suivante exposition pour 1900. Bref, tout va bien, pour le président de la République Félix Faure aussi, merci.
Félix Faure avait été élu, en 1895, par une coalition de modérés après la démission de Jean-Casimir Périer. Il n’avait rien accompli de remarquable dans sa carrière politique hormis sa défense du Havre face aux Prussiens en 1870 et son passage comme ministre de la Marine. Il se rapproche de la Russie mais se fâche avec les Britanniques au moment de Fachoda que Marchand devra laisser, sur ordre, aux Anglais. C’est pendant son mandat qu’éclate l’affaire Dreyfus qu’il ne défend pas, loin de là, se montrant intransigeant, ne répondant même pas à la lettre accusatrice d’Emile Zola.
Après le Conseil des Ministres du 16 février 1899 qui s’est un peu éternisé justement à cause de l’affaire Dreyfus, il aurait donné rendez-vous à « Meg », sa conseillère psychologique, en fait une demi-mondaine, dans le salon bleu de l’Elysée, comme l’habitude s’était rapidement instaurée entre eux depuis que la belle Marguerite, épouse du peintre Steinheil, avait obtenu pour son mari la commande d’une toile gigantesque. Mais, après qu’ils s’y furent enfermés depuis de longues minutes, le chef de cabinet entendit des cris et se précipita dans la pièce, suivi par quelques domestiques. Le président aurait été trouvé allongé sur le divan, sans pantalon, la main crispée dans la chevelure de sa maîtresse, nue à son chevet, et il râlait en suffocant. On s’affaira autour de lui, pour ne pas dire on s’affola pendant que Meg disparut avec ses effets sous le bras. Félix le bienheureux décédera officiellement, non pas de l’aphrodisiaque qu’il aurait pris pour se mettre en forme mais d’une « congestion cérébrale » (on dirait aujourd’hui un AVC, accident vasculaire cérébral) mais le Tout-Paris véhiculera bientôt, en s’en moquant, la fin heureuse du « président soleil », allusion à Louis XIV qui avait, comme lui, le goût du fastueux.
Aussitôt, madame Faure, prévenue, fait mander le médecin puis le curé de la paroisse, lequel tarde et c’est un autre qui se présente pour lui administrer les derniers sacrements. « Le président a-t-il toujours sa connaissance ? » demande l’abbé, voulant savoir ainsi s’il était conscient ou non. « Non, elle est sortie par l’escalier de service » lui répond-on tout naturellement.
Cet épisode croustillant fit le bonheur des chansonniers de l’époque qui glosèrent sur l’épouse volage (et qui le restera, finissant même Lady en Angleterre) vite rebaptisée « la pompe funèbre », allusion à son nom de jeune fille Japy (comme les pompes que construisait son grand-père) ou sur le président mort à 58 ans « penché sur les affaires du pays ». Il eut malheureusement moins de chance qu’un autre président, américain celui-là, qui sortit vivant d’une séance similaire.
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