• La Loi Falloux

    Les élèves des années 1960 chantaient volontiers cette chanson de France Gall qui disait que c’est « ce sacré Charlemagne » qui « a eu cette idée folle, un jour, d’inventer l’école », ce qui est très exagéré. Ceux d’aujourd’hui savent-ils que l’école n’a pas toujours été obligatoire ? J’en doute.

    Sous l’Ancien Régime, ce sont les religieux jésuites, dans les villes, qui font école aux enfants, surtout aux garçons, des familles aisées de la bourgeoisie. On y parle le français mais aussi le latin. Pendant la Révolution française, on songe à rendre l’instruction obligatoire et on envisage d’en laisser la responsabilité à l’Etat pour s’affranchir de l’influence du clergé. Un corps d’instituteurs est créé en 1792 puis des grandes écoles telles Polytechnique ou les Arts et Métiers apparaissent. Mais l’accès de tous les enfants à l’instruction ne va pas encore de soi.

    Face à la pénurie d’instituteurs, pas ou peu payés, Napoléon Bonaparte rétablit les écoles religieuses, plus expérimentées que l’Etat, et crée l’Université impériale pour centraliser l’enseignement. Il veille, après le 18 Brumaire (1799), à ce que tous les établissements scolaires suivent un programme similaire mais s’en désintéresse, une fois Empereur.

    La loi Guizot de 1833 rend obligatoire une école primaire de garçons dans toute commune de 500 habitants. Elle rend aussi obligatoire la création d’une école de filles dans toute commune de 800 habitants. On progresse donc dans l’universalité de l’enseignement primaire qui ne sera effective qu’après la révolution de 1848. L’Etat et l’Université conservaient tout l’enseignement secondaire et supérieur. Guizot complète le dispositif en instaurant des « écoles normales » pour former les instituteurs, dès l’âge de 21 ans.

    C’est finalement en 1850 que le ministre de l’Instruction Publique, le comte Alfred de Falloux, mettra en œuvre l’article de la Constitution qui veut que « l’enseignement est libre ». Son projet de loi, soutenu par Adolphe Thiers, fera l’objet d’intenses discussions à l’assemblée au cours desquelles l’élu Victor Hugo critiquera vivement la place trop importante, à ses yeux, accordée au clergé catholique. En effet, cette « loi Falloux » opère de fait un partage entre l’enseignement public, géré par les communes, les départements, l’Etat et l’enseignement privé dit « libre » dont les établissements sont gérés par des associations, des congrégations religieuses, voire des particuliers. Elle instaure une académie dans chaque département, sous la direction d’un recteur, autorise l’entrée de représentants des différents cultes, principalement catholiques, dans le « Conseil supérieur de l’instruction publique ».

    Adoptée le 15 mars 1850, cette loi vise aussi à éduquer socialement la jeunesse afin qu’elle accepte, après tant d’années de troubles, le nouvel ordre établi. C’est l’origine des phrases de morale et des leçons d’instruction civique dispensées systématiquement, via les écoles normales de formation, par les instituteurs. Le programme comprend des options (histoire, sciences naturelles, gymnastique, chant et dessin) et surtout une partie obligatoire, notamment lecture, écriture et calcul ainsi qu’une éducation morale et religieuse.

    Dans les années 1880, sous la Troisième République, une série de petites lois, en particulier celles que défend Jules Ferry, viendront écorner l’organisation Falloux, en supprimant notamment la participation religieuse. Le terme de « laïcité » apparait et l’enseignement devient obligatoire (1882) et gratuit puisque les communes, appuyées par l’Etat, assument les frais. Un tablier gris pour chaque élève achève l’uniformisation et l’égalité de tous devant le savoir.

    Avant la première guerre mondiale, de nombreux intellectuels demandent l’abrogation de la loi Falloux. En 1904, Emile Combes interdit aux congrégations d’enseigner. Ne subsisteront que les écoles privées laïques. C’est cet état d’esprit qui prévaudra, un an plus tard en décembre 1905, lors de la signature de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat pour ce qui a trait à la vie publique et au fonctionnement des institutions. « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes » (article 1) et « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (article 2).

    On imagine facilement les débats passionnés qui auraient cours aujourd’hui, alors que d’autres religions ont rejoint la religion catholique dont il était seule question en 1850, si cette loi Falloux, qui ne fut abrogée qu’en 2000, avait toujours cours dans nos établissements scolaires.


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