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La crise de Fachoda
Alors qu’en Amérique du Nord, les deux rives de cet immense pays sont reliées, en 1869 après 6 ans d’effort, par une ligne de chemin de fer, les deux grandes puissances coloniales d’Europe, France et Royaume Uni, se disputent les dernières terres non conquises de l’Afrique, à la barbe de timides Allemands, Portugais et Italiens.
Après le grand Ferdinand de Lesseps à Suez, c’est Bugeaud en Algérie, c’est Faidherbe au Sénégal, c’est Hubert Lyautey qui opère une pénétration pacifique au Maroc. C’est Pierre Savorgnan de Brazza, ce Français d’origine italienne qui construit lentement sa légende anti-esclavagiste depuis le Gabon vers le Congo, face à la brutalité d’un Stanley, britannique au service du roi des Belges.
Progressivement, au fil de conquêtes aventureuses, se dessine une partition géographique entre l’empire français, parti de l’Ouest africain pour tenter de rejoindre le Nil, voire la corne Est et l’empire britannique soucieux de refermer les deux pinces de la tenaille depuis l’Egypte et l’Afrique du Sud.
C’est dans ce contexte que l’incident de Fachoda, en 1898, faillit déclencher une vraie guerre entre deux nationalismes chatouilleux.
En contrôlant le sud de l’Afrique, la région des grands lacs à l’Est, l’Egypte dont ils ont évincé les Français depuis 1882 mais aussi la Gold Coast du Ghana actuel et du Nigeria, les Britanniques possèdent une longueur d’avance. Les Français redoutent qu’ils ne réussissent à contrôler tout le continent en reliant par une grande croix ces territoires éclatés. Ils décident alors de prendre position sur le Nil, en amont de la progression anglaise. Ce sera le petit bourg de Fachoda, but de la mission Congo-Nil commandée par Jean-Baptiste Marchand, capitaine de l’infanterie de marine.
Cette mission est mandatée par le ministre français des colonies malgré les menaces de Londres qui en a eu vent.Débarquant à Loango en 1896, à l’ouest de Brazzaville, avec des tonnes de matériel, Marchand remonte le Congo puis l’Oubangui avec 8 gradés dont Baratier et Mangin, 250 tirailleurs sénégalais et 3.000 porteurs puis, après Bangui, il oblique plein Est par le Bahr-el-Ghazal en direction du Nil qu’il atteint à Fachoda deux ans après, en juillet 1898, au prix de grandes difficultés.
De son côté, Lord Herbert Kitchener poursuit sa progression vers le sud de l’Egypte, bouscule des rebelles insurgés mahdistes au Soudan et se hâte vers le Haut-Nil avec quelques 3.500 hommes armés. Soudain, le 18 septembre 1898, le général anglais aperçoit le drapeau français flotter sur la petite garnison de Fachoda, en pays Shilluk, que Marchand a rebaptisée Fort Saint-Louis. Du haut de sa supériorité numérique, Kitchener lui somme de quitter les lieux, ce que l’officier français refuse. Le face à face va durer des mois pendant lesquels les esprits s’échauffent en Angleterre où le Premier ministre Salisbury intransigeant s’appuie sur une opinion publique britannique déchaînée mais aussi en France où la perte de l’Alsace-Moselle en 1870 et le discrédit de l’affaire Dreyfus poussent les milieux patriotiques à ne pas reculer et donc à l’affrontement. Marchand est vu comme le Jeanne d’Arc français de l’Afrique.
Mais lorsque Théophile Delcassé remplace Gabriel Hanotaux aux Affaires étrangères, la raison et un ultimatum anglais l’emportent sur l’amour propre : l’ordre est transmis à Marchand, en novembre 1898, de quitter la garnison de Fachoda. La guerre est évitée. De mauvaise grâce et laissant sur place le bateau Faidherbe, la colonne repart vers l’Est en décembre, en direction d’Addis-Abeba puis de Djibouti qu’elle atteint 6 mois plus tard, en Mai 1898, concrétisant quand même, par la même occasion, la grande traversée souhaitée par Monteil, de Dakar à l’océan indien.
Curieusement, cet incident diplomatique majeur va conduire à un rapprochement de façade entre les deux rivaux, via « l’entente cordiale » dès 1904, entente qui permet de s’accorder pacifiquement sur les conquêtes africaines mais aussi de reporter les ardeurs nationalistes vers l’Allemagne.
Malgré tout, bien que le commandant Marchand, au printemps 1899, reçoive un accueil triomphal à son arrivée à Toulon puis à Paris, le nom de Fachoda reste associé, dans l’inconscient collectif français, à reculade sans combat, déshonneur et humiliation face à la « perfide Albion ».
Aujourd’hui encore, les politiques peuvent « aller à Fachoda » pour leur plus grand déshonneur, ce qu’ils ne manquent souvent pas de faire, hélas.
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