• Bonatti abandonné sur le K2

    L'immense chaîne de l'Himalaya, avec ses sommets gigantesques à plus de 8.000 mètres, ne pouvait être vaincue que par des hommes d'exception. C'est une équipe Néo-Zélandaise qui atteindra, la première, le sommet de l'Everest, à 8.848 mètres, en mai 1953. Une telle expédition nécessite une grande préparation, de lourds moyens et une volonté de fer. De longues journées de marche, avec un oxygène qui se raréfie à mesure que les camps se succèdent, pour 15 alpinistes, 450 porteurs et 34 sherpas mais seulement deux hommes au sommet.

    Un an après, en juillet 1954, c'est une équipe italienne qui tente l'ascension du second plus haut sommet du monde, le K 2, à 8.611 mètres dans la chaîne du Karakorum. Un scientifique italien, Ardito Desio, dirige l'expédition et sélectionne les meilleurs alpinistes du moment. Les mêmes moyens, aussi lourds que ceux de la conquête de l'Everest, sont déployés et les camps de base se succèdent avec régularité, selon le plan.

    Le 28 juillet, le camp VII est atteint à 7.345 m. Il est décidé que 5 alpinistes seulement poursuivront jusqu'à l'établissement du camp VIII vers 7.700 m qui sera équipé pour deux personnes. Les deux plus en forme se porteront ensuite, seuls, vers un camp IX au-delà des 8.000 m, avant l'assaut final.

    Les 5 alpinistes sont Abram, Campagnoni, Galloti, Lacedelli et Rey. Le plus jeune, Walter Bonatti,  24 ans, victime d'un dérangement intestinal, reste au camp VII pour se reposer. Rey, épuisé par les conditions extrêmes, réapparaît bientôt. On appelle le camp de base, tout en bas, pour que des porteurs pakistanais Hunza, ainsi que le feraient des sherpas au Népal, remontent vivres, carburant et oxygène.

    Le soir même, Abram et Galloti retrouvent le camp VII. Ne restent donc plus que Lino Lacedelli et Achile Compagnoni au camp VIII. C'est eux qui feront l'ascension ultime, en installant d'abord un neuvième camp à plus de 8.000 mètres, avant de redescendre au camp VIII où les autres alpinistes leur auront monté les vivres et l'oxygène. Après une nuit de récupération, tous les deux repartiront vers la cime.

    Le lendemain, Walter Bonatti et Ubaldo Rey, qui ont bien récupéré au camp VII, ont bien du mal à motiver leurs deux camarades pour monter, avec l'aide de deux Hunza, le matériel jusqu'au camp VIII. Il faudra deux jours, au lieu d'un, pour tout acheminer par paliers à 7.700 m. Seuls Bonatti et Galloti sont encore valides lorsqu'ils retrouvent, sur ce camp VIII, les deux alpinistes de pointe Lacedelli et Compagnoni, lesquels n'ont pas atteint non plus le point prévu pour établir le dernier camp, au-delà de 8.000 m.

    Le 30 juillet, on décide que ces derniers remonteront récupérer leurs sacs et établiront un camp IX au pied du sommet mais un peu plus bas que prévu afin que Bonatti et Galloti puissent leur apporter les bouteilles à oxygène qu'on avait du laisser à mi-pente, sous le camp VIII.

    Tout se passe comme prévu, on récupère même Abram et deux sherpas près de l'oxygène et cette nouvelle cordée remonte vers le camp VIII mais la fatigue en emporte encore la moitié qui s'écroulent dans le camp. Il faut pourtant continuer et faire la jonction avec les deux du haut pour leur livrer le matériel. Les conditions sont extrêmes, vent, neige, faible visibilité, peu d'oxygène et on ne trouve pas le camp IX qui n'est pas à l'endroit prescrit.

    Alors, on appelle Lacedelli et Compagnoni qui semblent avoir planté la tente plus haut. Ceux-ci répondent : « Suivez nos traces » mais celles-ci sont effacées depuis belle lurette. Le jour décline, on s'entend mais on ne se voit pas. « Laissez les bouteilles où vous êtes et redescendez ». Cependant, vu l'heure tardive et l'état psychologique de son accompagnateur, Walter Bonatti répond que c'est impossible et tente encore de les situer en multipliant les appels. Rien, aucune réponse ne vient plus en écho à ses tentatives. Il comprend que ses compagnons veulent garder pour eux seuls la dernière étape et le succès de l'ascension finale mais est offusqué par leur manque de fraternité. S'il passe la nuit, à 8.100 mètres, sans protection et sans oxygène (il n'a que les bouteilles, pas les masques) par des températures de moins 30 degrés, c'est la mort assurée. Son Hunza, hagard, le sait lui aussi et panique. Alors, ils creusent un trou dans la neige et tentent de se protéger, toute la nuit, des bourrasques qui font encore baisser la température. 

    Au petit matin du 31 juillet 1954, des membres sont gelés mais ils vivent encore, déposent les bouteilles d'oxygènes bien en évidence et redescendent.

    Le sommet sera atteint par Lacedelli et Compagnoni qui recevront tous les honneurs.

    Walter Bonatti se tait sur les circonstances car, naïf et respectueux du contrat passé avec les médias avant la montée, il ne dit rien pendant deux ans. Ce silence permet à la version officielle de se mettre en place : Achille Compagnoni et Lino Lacedelli seraient arrivés au sommet sans oxygène (exploit encore plus grand) car ils auraient du abandonner leurs bouteilles, devenues vides beaucoup trop tôt. Ils en imputent la cause à Bonatti qui aurait, selon eux, utilisé l'oxygène à son profit pendant qu'il remontait les bouteilles et le ravitaillement ou pendant le précédent bivouac au camp VIII.

    Mais la vérité finit toujours par éclater. Un passionné retrouve, en 1993, le récit de l'ascension par Ardito Desio, dans une revue suisse. Une photo représente Compagnoni au sommet du K 2 avec un masque à oxygène. Ainsi, les deux héros ont menti et trahi leur camarade.

    Celui-ci, de rage, publiera sa version en 1961 dans "A mes montagnes" et se lancera dans des ascensions en solitaire, comme la première arête des Drus par la face la plus difficile, en 1955, ou toute une série de premières, le grand Capucin, le Cervin notamment.

    Sans doute, les deux héros n'avaient-ils pas voulu sciemment abandonner Walter Bonatti à 8.000 mètres sur le K 2 mais « l'ivresse des montagnes » qu'a si bien expliqué le grand Reinhold Messner avait perturbé les échanges et leur compréhension entre ces hommes exceptionnels.


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