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Autodafé et absurdité.
Avant même l’invention de l’imprimerie, les bibliothèques regorgeaient, depuis l’Antiquité, de livres, parchemins, rouleaux ou codex, relatant la vie et les croyances des peuples. Malheureusement, les incendies accidentels ou provoqués par des guerres ne nous en ont laissé que des bribes. Que penser, par exemple, de l’attitude de l’évêque conquistador espagnol Diego de Landa qui détruit systématiquement, en 1562, tous les documents écrits par les Mayas qu’il rencontre au Yucatan ? Par sa faute, et malgré les trois codex sauvés, nous savons si peu de choses sur cette civilisation précolombienne.
Hélas, même au cours de la période moderne, l’obscurantisme n’a pas disparu des esprits de ceux qui s’imaginent effacer les idées, qu’ils jugent subversives, en éliminant leur support !
C’est ainsi que le 10 mai 1933, devant l’université Humboldt sur la place de l’Opéra à Berlin, débaptisée depuis en Bebel Platz, des dizaines d’étudiants conditionnés par les Nazis, jettent puis brûlent des milliers de livres de dissidents au régime ou auteurs juifs « nuisibles » et honnis par nature. Les flammes emportent donc, pour un temps, sous les yeux ravis de Joseph Goebbels, ministre de la propagande du Reich, les œuvres de Berthold Brecht, Stefan Zweig, Sigmund Freud, Thomas Mann et même Karl Marx, pour ne citer qu’eux. Cet autodafé des livres s’étendra à de nombreuses villes allemandes comme Brême, Dresde, Francfort, Hanovre ou encore Munich et Nuremberg, tant la peur était grande de déroger à la règle imposée. Il sera suivi en 1939 par un bûcher équivalent devant l’université centrale de Madrid, à l’initiative de la Phalange franquiste qui y ajouta, cette fois, des peintures et les livres de Gorki, Lamartine, Rousseau et bien sûr Voltaire.
Le mot autodafé vient du portugais « auto da fé » qui signifie acte de foi. Sous l’Inquisition, au XIIIème siècle, le dogme catholique imposait à tous un acte de foi avec repentance, sans lequel les « hérétiques » étaient condamnés par le tribunal de l’Inquisition (créé par le pape Grégoire IX lui-même) à des peines plus ou moins sévères, allant jusqu’à être brûlés en place publique pour les plus récalcitrants. La croisade des Albigeois en sera le point culminant. De célèbres inquisiteurs, chassant la sorcellerie, séviront encore jusque dans les années 1490, tels Thomas de Torquemada ou Jérôme Savonarole et son « bûcher des vanités » à Florence sur lequel les habitants sont contraints de jeter tous livres suspects et objets de luxe.
De nos jours, sauf exception, on ne brûle plus que les livres, considérés comme des menaces par les manipulateurs de conscience. Ce fut le cas des bibliothèques détruites par les Talibans en Afghanistan à la fin du siècle dernier, de la mosquée rouge d’Islamabad en 2007, du Nouveau Testament brûlé à Or Yehuda en Israël en 2008. Ou alors, on menace de le faire comme ce pasteur fondamentaliste de Floride, Terry Jones, qui voulait brûler le Coran, le 11 septembre 2010 (anniversaire des attentats du World Trade Center).
Toutes les religions ont cru au feu rédempteur et purificateur. Hélas, les livres ne sont pas des Phœnix. De nombreux ouvrages essentiels n’ont dû leur sauvegarde qu’aux copies fidèles de moines ou religieux qui les archivaient avec soin ou encore grâce à des traductions d’une langue à l’autre, comme du grec vers l’arabe ou le latin, par exemple.
Curieusement, l’arrivée du numérique et de l’informatique n’ont pas fait fléchir les moralisateurs de tous poils, parfois des Etats souverains, qui tentent encore de faire taire les voix discordantes. Mais il sera vraisemblablement plus difficile d’organiser un autodafé d’ordinateurs ou de clefs USB.
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