• Tout comme le mot de Berezina fait penser, à tort, à une cinglante déroute, celui de Dresde évoque le bombardement le plus atroce et le plus meurtrier de toutes les guerres modernes. C’est à la fois vrai, dans l’intensité de l’horreur vécue par la population civile, et faux dans l’évocation tendancieuse du nombre de tués, grossi exagérément par certains auteurs, plus soucieux de dogmatisme que de vérité historique.

    En 1940, Adolf Hitler est conforté dans sa stratégie hégémonique, par le contournement, plus rapide que prévu, des troupes françaises, et il imagine pouvoir contraindre aussi aisément le Royaume-Uni. C’est ainsi qu’il approuve le plan de Göring pour la « grande bataille aérienne » de la Luftwaffe contre l’Angleterre qui échouera du fait de la bravoure des pilotes anglais de Spitfire. Ne pouvant maîtriser l’espace aérien, le Führer déclenche le « Blitz » consistant à bombarder systématiquement les villes britanniques, Londres en tête.

    Winston Churchill s’en souviendra lorsque, sollicité par les Russes sur le front de l’Est, en 1945, afin que les Alliés mettent la pression sur l’ensemble des nœuds ferroviaires et sur le tissu industriel des villes forteresses (die Festungen) à l’Est de l’Allemagne, il déclenchera « l’opération Thunderclap », avec l’appui des Américains, visant tout à la fois à réduire à néant ce réseau de communications et à saper le moral des Allemands en général.

    Le bombardement de Dresde, dans la nuit du 13 au 14 février 1945, quelques jours seulement après la Conférence de Yalta, fut une surprise pour ses 650.000 habitants et réfugiés, convaincus que cette ville d’art et de culture, la merveille baroque de Maurice de Saxe, ne représentant pas un objectif militaire, continuerait d’être épargnée par les raids anglo-américains qui se succédaient depuis 1942.

    Pourtant, à 22 h 00, les sirènes se mettent à hurler et 244 Bombardiers Avro Lancaster du Bomber Command de la Royal Air Force (RAF) emplissent le ciel dans un vrombissement incroyable et lâchent 1.500 tonnes d’obus explosifs et à fragmentation sur la vieille ville. La population se précipite dans les caves qui sont vite enfumées et irrespirables ou recouvertes de grabats.

    Trente minutes plus tard, 529 nouveaux bombardiers Lancaster de la RAF larguent 1.200 tonnes de bombes incendiaires, vraisemblablement au phosphore, précurseur du napalm, qui vont provoquer d’immenses incendies, se propageant de maison en immeuble.

    Le lendemain matin, 14 février, alors que les survivants recherchent leurs proches ou tentent de soigner les blessés, 311 forteresses volantes, B.17 américains, des United States Army Air Forces (USAAF) achèvent la destruction en lâchant 780 tonnes de bombes, toujours sur le cœur de la ville déjà en proie aux flammes. Les familles, séparées, se réfugient sur les berges de l’Elbe en emportant, dans des poussettes, le peu de biens qu’elles ont pu sauver. Tout le centre ville, soit la moitié des habitations, est détruit.

    Pour éviter les épidémies qu’ils pressentent du fait de l’odeur, les habitants valides récupèrent, dans l’après midi, les corps ensevelis et bien souvent méconnaissables. Un amas de cadavres amoncelés est constitué sur la place du Altmarkt auquel il est mis feu par prudence. Un acte qui jettera le flou sur le nombre exact de victimes. S’appuyant sur le fait que « la Florence de l’Elbe » était le point de rendez-vous de milliers de réfugiés et de blessés du front russe, les premières estimations firent état de 200 à 300.000 morts, ce que la propagande de Goebbels relaya volontiers pour prouver que les Nazis étaient, en fait, des victimes. C’est surtout l’écrivain anglais négationniste David Irving, défavorable aux Alliés, qui imposa longtemps le chiffre de 135.000 morts, dans son livre paru en 1963 « Apocalypse 1945 : The destruction of Dresden ». Mais il apparut aux historiens, notamment allemands, que le chiffre de 35.000 morts était le plus proche de la réalité. Très tôt, en effet, dès les premières destructions, les habitants avaient fui vers les quartiers périphériques non touchés.

    Il n’en reste pas moins que ce bombardement massif, en plusieurs vagues d’assaut, sur une ville qui ne représentait aucun objectif militaire évident, s’inscrit dans la longue suite des bombardements horribles de la Seconde guerre mondiale, au même titre que Guernica, Coventry, Breslau, Hambourg, Berlin et, bien sûr, Hiroshima et Nagasaki.

    Dresde est véritablement devenu un symbole. Espérons que ce soit le dernier de ce type.


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  • La Révolution française, engagée dès 1789, au milieu d’Etats dirigés, en Europe, par des Royautés généralement héréditaires, fut un choc pour la plupart des monarques. L’arrestation de Louis XVI en 1791, sous la menace des fourches paysannes, décida l’Autriche et la Prusse, notamment, à signer à Pillnitz les bases d’une coalition contre-révolutionnaire visant à empêcher la contagion de ces idées ridicules de liberté et de souveraineté du peuple.

    Face à cette menace conjuguée des monarchies, l’assemblée déclare la guerre, en avril 1792, au « Roi de Bohème et de Hongrie » dans la plus totale confusion. Les « Sans-culotte » se soulèvent et provoquent, en août, le renversement de la monarchie française.

    Mais, les Prussiens sont annoncés à Longwy puis Verdun. Bientôt, ce sera la route de Paris si rien n’est fait rapidement. On déclare « la Patrie en danger ». En Champagne, deux nouveaux généraux, Kellermann et Dumouriez, lèvent des troupes en urgence qu’ils agglomèrent à la hâte aux noyaux de professionnels aristocrates qui les entourent. Prussiens et Autrichiens, bien que fatigués par une longue marche, ne devraient en faire qu’une bouchée. Mais, c’est l’inverse qui se produit sur cette crête de Valmy où, le 20 septembre, la peur change de camp lorsque Kellermann harangue ses nouvelles recrues au cri de « Vive la Nation », en brandissant un plumet au bout de son sabre. Lorsque les canons se taisent, de part et d’autre, les jeunes combattants français s’élancent avec ardeur et en entonnant le « chant des Marseillais » de Rouget de Lisle. L’ennemi, surpris par le sursaut de ces vagabonds, recule puis bat en retraite. La révolution tient sa première victoire et peut espérer bloquer toute tentative de restauration monarchique.

    Fort de ce succès, Dumouriez poursuit l’avantage en portant le fer contre les Pays Bas. Ce sera Jemappes, dans la Belgique actuelle, en novembre 1792. Victoire acquise de justesse mais qui conforte les révolutionnaires dans leur volonté de repousser les ennemis de la liberté jusqu’aux « frontières naturelles » de la nation que sont les Alpes, les Pyrénées et, bien sûr, le Rhin, comme le clamera Danton en janvier 1793.

    Mais à mesure que les Sans-culotte avancent leurs idées et leurs piques, les monarchies coagulent leurs efforts et leurs troupes pour y faire face. Il faut donc lever de plus en plus de soldats et les volontaires ne suffisent plus. D’où la mesure dramatique, dans ses conséquences, du « tirage au sort ».

    Cette réquisition autoritaire qui désorganise la paysannerie française ne passe vraiment pas. Les refus de s’y plier s’étendent à toutes les régions mais c’est au Sud de la Loire, en Vendée, que la rébellion contre cette levée en masse va s’exacerber, après mars 1793. De spontanée, la révolte de ces paysans va enfler de bourg en bourg, repoussant les gardes nationaux, les « bleus », accourus pour leur faire entendre raison. Issus des rangs de ces insurgés, des chefs vendéens se révèlent et galvanisent les énergies, ralliés bientôt par des officiers aristocrates expérimentés et des « chouans » de Bretagne. Pensons à Charrette, Cathelineau, d’Elbée, Bonchamps, La Rochejacquelein.

    La certitude d’avoir raison et la hargne sont telles de chaque côté que c’est une véritable guerre civile qui ronge la jeune République. Le premier gros revers des insurgés intervient en octobre 1793 à Cholet, face à des Bleus républicains renforcés depuis la capitale. Puis, malgré de petites victoires locales, au bout d’une longue équipée, au début de l’hiver, dite « la virée de Galerne », les Vendéens acculés à la Loire, se font massacrer à Savenay le 23 décembre.

    La Convention exulte en recevant le message suivant : « Il n’y plus de Vendée, elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay ».

    Mais cela ne suffit pas aux députés de la Convention, habitués aux régimes de terreur. Ils mandatent le général Turreau, qui leur a lu, le 19 janvier 1794, sa proposition d’extermination, afin que disparaisse à jamais la « Grande armée catholique et royale ». Celui-ci va lancer en Vendée 24 colonnes armées, qui recevront le titre de « colonnes infernales » tant leurs tueries n’épargneront personne sur leur passage.

    Las, ne mate pas un Vendéen et son « sacré cœur » qui veut ! et ces derniers trouvent encore les ressorts pour repousser l’envahisseur. Le projet Turreau échoue d’autant plus que les frontières menacées à l’Est rappellent les républicains en renfort.

    La Vendée est évacuée, la Révolution n’est pas passée par l’Ouest.


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  • C’est en Provence, à Saint-Rémy tout d’abord, qu’est né le grand Nostradamus et à Salon qu’il décèdera en laissant une trace immense auprès de ses contemporains du XVIème siècle. Mais c’est surtout après sa mort, et jusqu’à aujourd’hui, que le mystère des écrits de ce grand érudit enflera.

    le 14 décembre 1503, dans une famille de juifs qui avaient dû se convertir au catholicisme et changer de nom, le jeune Michel de Nostre-Dame est un enfant doué qui se passionne pour les étoiles et les mathématiques. On l’envoie donc à l’université d’Avignon puis, après avoir exercé comme apothicaire, à celle de Montpellier où il acquiert les savoirs de la médecine et de l’astrologie. On ne saurait, en effet, être médecin sans être astrologue car on ne donne pas les mêmes médicaments selon les périodes de la lune.

    Il met au point un onguent à base de plantes qui semble faire merveille contre la peste et qui sera le début de sa renommée. Il est appelé partout où sévit cette terrible épidémie. C’est l’occasion pour lui d’effectuer un « tour de France » qui le met en contact avec de grands notables.

    Profitant de ses connaissances en botanique, en médecine et en astrologie, il commence, dès 1550, à publier des almanachs (lunaisons en arabe), sortes de calendriers où sont rassemblés une foule de conseils populaires sur la santé par les astres et les plantes, et des prévisions météo. Il y glisse également des prévisions événementielles sur l’année à venir, en un style assez ésotérique et fumeux de telle sorte qu’il puisse expliquer, a posteriori, tout évènement majeur.

    Ces petits livres, qu’il signe du nom de Nostradamus, se vendent si bien (l’imprimerie a été découverte récemment) qu’il y consacre de plus en plus de temps et qu’il les construit sous une forme accessible au plus grand nombre, parmi les lettrés de l’époque, malgré l’emploi indifférencié de langues diverses comme le latin, le grec, le vieux français ou encore le provençal. Ce sont, en fait, des quatrains de 24 mots généralement, avec peu de verbes et aucune date, ce qui permet toute sorte d’interprétation.

    On connait 942 de ces quatrains (il voulait en écrire 1.000) qu’il regroupe par centaines, d’où le nom de centuries.

    A 52 ans, jouissant déjà de son vivant d’une confortable renommée, malgré les critiques virulentes de jaloux, il s’établit à Salon de Provence et rédige, en état de transe, de nuit et depuis son balcon, nous dit la légende, ses fameuses « prophéties » que la mort inhabituelle d’Henri II, en 1559, viendra conforter. En effet, une de ces fameuses visions (centurie 1, quatrain 35) avait prévu, à mots presque explicites, la mort cruelle et accidentelle du roi, blessé à l’œil dans un tournoi à cheval avec le comte de Montmorency. Aussitôt, toutes les autres « prédictions » sont auscultées, notamment par son disciple, le docteur Jean-Aimé de Chavigny, puis par son fils aîné César, à l’aune des grands évènements, lesquels ne manquent jamais.

    C’est ainsi que le mot Varennes, écrit en 1562 et figurant en centurie 9, quatrain 20, sera d’évidence rapporté à l’arrestation de Louis XVI en 1791, alors que les Varennes sont légion en France. Nostradamus aurait également prédit l’avènement de Napoléon (« un empereur naîtra près de l’Italie. De simple soldat, il deviendra Empereur») et de Hitler (mais l’orthographe de « Hister » est aussi celle, ancienne, du Danube). N’a-t-il pas annoncé à Catherine de Médicis, lors de la venue de celle-ci à Salon de Provence, que trois de ses quatre fils monteraient sur le trône de France ? Ce qui se réalisera et lui valut d’être nommé médecin du roi.

    Un seul quatrain comporte une date, 1999, et il est question d’apocalypse, de rapprochement d’une planète ou de météorite éblouissant le ciel. Seul Paco Rabane y a cru en reliant l’évènement à la chute du satellite Mir. Il ne s’est rien passé tout comme il ne se passera rien le 21 décembre 2012 alors qu’une prédiction, faussement attribuée à Nostradamus, y voyait la fin du monde.

    Certains disent même qu’il aurait prévu sa propre mort, le 02 juillet 1566, mais les versets incriminés (antidatés ?) parlent de novembre et ne furent connus qu’après son décès.

    Nostradamus s’amusait-il de la crédulité de ses contemporains de la Renaissance ou s’était-il pris au jeu jusqu’à croire lui-même à ses dons de voyance et d’astrologie divinatoire ? « Et les hommes qui viendront après moi reconnaîtront le caractère véridique de ce que je dis, parce qu’ils auront vu que les différents évènements prédits par moi se seront réalisés infailliblement ».

    On dirait aujourd’hui qu’il surfait sur la superstition de son siècle.

    Pour quelques chercheurs et historiens, le mystère subsiste mais pour beaucoup d’autres, notre homme n’a fait qu’enjoliver, dans un discours nébuleux, des évènements antérieurs à son époque dont il avait eu connaissance par la lecture d’œuvres anciennes.


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  • Entre la France qui se relève de la Guerre de 100 ans et l'Empire turc de Constantinople, l'Italie de la Renaissance, en 1463, est divisée en principautés rivales. En février de cette année 1463, nait Giovanni Pico, fils d'un petit prince du duché de Ferrare. Par sa naissance, le jeune Giovanni est déjà Comte della Mirandola e Concordia. Faisons simple et appelons-le Jean Pic de la Mirandole.

    C'est un petit surdoué qui accapare les atouts : beau, riche, noble, intelligent, beau parleur, ayant une fabuleuse mémoire, ce qui lui permettra d'assimiler rapidement plusieurs langues étrangères orientales, du moins le laisse-t-il croire. A 14 ans, il entre à l'académie de Bologne et en sort, deux ans plus tard, spécialiste du droit canon. Passionné par la lecture des textes grecs anciens de l'Antiquité que l’on redécouvre à cette époque, il décide de s'instruire dans tous les domaines de la connaissance et entreprend un tour des universités les plus grandes de Rome jusqu'à Paris. Ce faisant, il se lie d'amitié avec des philosophes et des théologiens, tentant avec eux de concilier la philosophie de Platon et la théologie chrétienne et il se constitue une riche bibliothèque, vite réputée. Impressionnés par sa jeunesse, son éloquence et sa culture, les plus grands maîtres de l'époque l'invitent à leur cour. C'est ainsi qu'il est reçu par le roi de France Charles VIII et par le souverain de Florence, Laurent de Médicis dit le magnifique. C'est, en effet, de cette petite république de Florence qu’irradie le mouvement de la renaissance italienne.

    Pic de la Mirandole est curieux de tout, poésie, mathématiques, astronomie, littérature, arts, ésotérisme et surtout de sciences. Il écoute et lit les grandes thèses qui expliquent le monde, les sociétés, et en fait mentalement la synthèse qu'il délivre ensuite à des auditoires ébahis de tant de culture. Dans sa quête pour tout embrasser, il ne va cependant pas au fond des choses mais, charmé lui-même par les compliments qu'il reçoit, il se laisse persuader qu'il a acquis, à 23 ans, la connaissance générale de toute chose de son temps.

    Il lance alors un immense défi aux philosophes et théologiens les plus réputés de la Chrétienté qu'il convoque, à Rome s'il vous plaît, afin de les rallier à ses thèses, ou plutôt ses synthèses. Il en écrit 900 sur tous les domaines connus et, en guise d'introduction, rédige un discours « De la dignité de l'homme » qui restera célèbre, bien qu'il ne l'ait jamais prononcé oralement, et qui place l'homme au centre de l'univers, comme un condensé des qualités des autres êtres vivants mais avec, pour lui seul, la capacité de se déterminer vers un avenir qu'il peut façonner en bien ou en mal. L'homme seul, en effet, dit-il, possède le libre arbitre qui le fait être l'artisan de son propre destin.

    Ce sera un échec car, même s'il leur payait le voyage, très peu de savants répondirent à son invitation et, surtout, ses assertions déplurent à la commission papale qui en trouva 13 hérétiques. En refusant de se parjurer, Pic indisposa le Pape Innocent IV qui ne pourra que l'excommunier. On est en 1484 et Giovanni Pico s'enfuit à Paris. Mais en France non plus, on ne rigole pas avec des textes hérétiques et il est arrêté, emprisonné au donjon de Vincennes pour quelques mois. C'est Laurent de Médicis qui l'invitera à nouveau à Florence et le protégera jusqu'à sa mort en 1492. La disparition de ce prince florentin, rude en affaires mais qui aimait les arts, laissera la place à un moine intégriste et visionnaire, Savonarole, qui veut libérer la ville de Florence, clergé compris, de toute la débauche où elle se complaît depuis si longtemps. Ses méthodes trop brutales, cependant, pour éradiquer le luxe, notamment un grand autodafé de livres et de bijoux, récoltés de force, lui vaudront d'être pendu puis brûlé en 1498 par une population excédée.

    Entre-temps, ce Raspoutine italien avait su se faire un ami de Pic de la Mirandole qu'il accompagnera jusqu'à être à son chevet le jour de la mort de cet érudit, à 31 ans, le 17 novembre 1494, le jour même de l'entrée des Français dans la ville de Florence.

    On conservera de cet humaniste doué son érudition forcenée que ses contemporains raillèrent cependant en lui trouvant un côté trop superficiel. Pascal dira de lui qu'il se faisait fort de discourir « de toute chose connaissable », ce à quoi Voltaire ajoutait « et de quelques autres en plus ». Mauvais procès de jaloux, sans doute.


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  • La guerre de 1870 a été déclenchée à la suite d’un malentendu, une erreur de traduction, finement ciselée par le chancelier prussien Bismarck, lorsqu’il renvoya la « dépêche d’Ems » de Guillaume 1er en la modifiant de telle sorte qu’elle apparaisse comme offensante aux yeux de l’entourage de Napoléon III. Car il fallait à Bismarck une guerre pour rallier à la Prusse les Etats allemands du Sud réticents à s’agréger à lui.

    La dépêche va avoir l’effet escompté par le rigide comte Otto von Bismarck. En quelques jours, du 13 au 19 juillet 1870, on passe, côté français, de l’affront inacceptable mais non vérifié, à l’appel des réservistes puis au vote des crédits pour la mobilisation et, enfin, à la déclaration de guerre. Or, la France n’est pas prête, contrairement à la Prusse et aux états allemands. Outre-Rhin, les principes de Clausewitz imprègnent des états-majors réorganisés, les canons Krupp en acier surpassent l’artillerie française. La Prusse, renforcée par les autres corps allemands, peut ainsi aligner 500.000 combattants pendant que l’Empire français n’en rassemble en urgence que la moitié, environ 265.000 hommes.

    Laissant la régence à l’impératrice, Napoléon III croit de son devoir de se porter en avant des troupes. Le 28 juillet, il est à Metz mais ne peut empêcher les retraites successives de Mac-Mahon en Alsace, de Bazaine qui se replie de Forbach sur Metz. Seule Strasbourg résiste et surtout Belfort avec un Denfert-Rochereau déterminé. Bien que battues à Rezonville, les armées allemandes du Kronprinz maintiennent partout l’offensive. De nombreux combats opposent les deux armées qui se battent durement à Wissembourg, Froeschwiller, Spicheren, Freyming, Borny, Gravelotte, Saint-Privat ou Noisseville. Napoléon III reprend le commandement de l’armée d’Alsace repliée à Châlons sur Marne pour opérer un grand mouvement par le Nord. Mais il se fait enfermer dans Sedan, doit capituler avec 100.000 hommes le 02 septembre 1870 et se constituer prisonnier. C’est l’humiliation et l’effondrement de l’Empire.

    Mais ce n’est pas la fin de la guerre que les Républicains, à Paris, veulent poursuivre à tout prix. Léon Gambetta proclame la République et un gouvernement provisoire de défense nationale est constitué avec, notamment, Favre et le général Trochu, chargé d’organiser la résistance armée de la garnison parisienne face aux Prussiens qui assiègent déjà la capitale. Le général échouera dans ses tentatives, ce qui donnera à Victor Hugo l’occasion du bon mot célèbre de « Trochu, du verbe trop choir ».

    Face à cette situation, le gouvernement envoie une délégation à Tours, avec Crémieux, ministre de la justice, bientôt rejoint par Gambetta, investi des ministères de l’Intérieur et de la Guerre. Le 08 octobre 1870, Gambetta s’élève donc en ballon depuis la colline de Montmartre, pour éviter les bombardements et barrages prussiens. Mais le vent est contraire et les poussent vers les lignes ennemies. C’est finalement en train et avec deux jours de retard  que la délégation rejoindra Tours. La mission de Gambetta est de lever des troupes pour continuer la lutte « à outrance » et coordonner la résistance à l’envahisseur. Il lève ainsi l’armée de la Loire. Tout n’est pas perdu, en effet, car il reste l’armée de Bazaine qui, croit-on, tient bon dans Metz assiégée elle aussi. Certes, son armée ne pourra pas être secourue par celle du Nord, de Faidherbe, battue à Saint-Quentin ni par celle de l’Est, avec Bourbaki, stoppée à Héricourt mais Bazaine et Denfert-Rochereau vont retourner la situation, que diable ! Il suffira ensuite à l’armée de la Loire de foncer sur Orléans et délivrer Paris.

    Or le maréchal François Achille Bazaine n’a de cesse d’envoyer des messages d’alerte sur sa situation dramatique mais aucune réponse ni aucun secours ne lui parviennent. Son dernier message arrive enfin à Tours, le 27 octobre et l’on se presse autour de Gambetta pour obtenir des nouvelles du front. Mais le ministre, qui n’a pas pris la précaution d’emporter les clefs de chiffrement, ne peut pas décoder ce message chiffré. Pour ne pas se ridiculiser devant les journalistes présents, il rédige alors un court message prétendant que l’armée de Metz ne manque de rien et inflige de lourdes pertes à l’ennemi.

    C’est dire si la surprise sera grande lorsque la nouvelle de la capitulation du maréchal Bazaine à Metz parviendra quelques jours plus tard. Comment une armée si bien équipée et en plein succès offensif peut-elle s’effondrer subitement ? Sinon par la trahison de son chef.

    C’est effectivement cette trahison qui sera orchestrée au sommet de l’Etat pour faire d’un seul homme le bouc émissaire idéal d’une faillite générale. Le maréchal n’était-il pas un fervent bonapartiste, un antirépublicain ? Le bruit court qu’il a trahi pour faire échouer la République et remettre en selle l’Empire. Honte à ce Lorrain par qui le funeste traité de Frankfort est arrivé. Honte à ce bonapartiste qui impose une reddition à ses hommes pour de viles raisons politiques et un siège éprouvant aux Parisiens. Malheur à ce traitre qui fait perdre à la France l’Alsace et une partie de la Lorraine. Son sort est scellé : condamnation à mort !

    La voie est libre pour l’avocat Léon Gambetta qui va progressivement prendre la tête de l’opposition républicaine, jusqu’à son accession au poste de Président du Conseil, œuvrant par ses discours à l’assemblée et ses propres journaux, pour l’instauration d’une nouvelle constitution avec un exécutif fort, à son secret profit. Mais il ne sera pas suivi et la maladie l’emportera.

    Le transfert de son cœur au Panthéon à Paris illustre l’emprise qu’aura marquée sur son temps cet homme de tempérament et de convictions, patriote à sa manière.

     


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