• Les paysans du golfe du Lion en France, depuis le Gard jusqu'aux Pyrénées-Orientales, avaient réussi au début du XIXème siècle à transformer les plaines caillouteuses et sèches de la région en vignobles abondants qui approvisionnent bientôt tout le pays en vin de table. Quelques savants, Pasteur en tête, n'hésitant pas à en glorifier les bienfaits.

    Mais l'expansion du vignoble du midi, et par là-même la consommation nationale, furent stoppés net, en 1863, par une maladie inoculée par un petit puceron, le phylloxera, qui s'attaque aux pieds de vignes. Il fallut remplacer les ceps infectés par de nouveaux plans venus d'Algérie et reconquérir lentement le marché. Dure période !

    Au début du XXème siècle, la production repart mais la concurrence étrangère a eu le temps de s'installer. D'autant plus facilement qu'elle utilise le procédé du chimiste Chaptal consistant à ajouter du sucre dans le vin pour en élever le taux d'alcool. Cette chaptalisation des vins médiocres d'importation, autorisée par le gouvernement dès 1903, entraîne une surproduction et donc une baisse brutale des prix de vente. C'est la ruine pour beaucoup, la colère gronde.

    Les viticulteurs du Languedoc réclament alors l'abrogation de la loi de 1903 et une surtaxe sur le sucre mais Georges Clemenceau, Président du Conseil intraitable, refuse. Il envoie pourtant, en 1907, une commission d'enquête parlementaire qui sera accueillie froidement à Narbonne par un fort groupe de viticulteurs emmenés par Marcelin Albert, cafetier d'Argeliers. Cette initiative donne le signal de la révolte et Marcelin promène sa harangue de villes en villages devant des foules qui grossissent de jour en jour. De 150.000 à Béziers en Mai, les voilà 600.000 dans les rues de Montpellier en Juin. Si rien n'est fait avant le 10 Juin, tonne le "fou d'Argeliers", ce sera la grève de l'impôt et la démission des mairies !

    Clemenceau envoie dans l'Aude 27 régiments de fantassins et de cavaliers, choisis parmi ceux du Nord de la France, afin qu'ils ne fraternisent pas. Le 19 Juin 1907, devant la préfecture de Narbonne, les manisfestants excités bousculent les soldats qui tirent sur la foule. C'est le drame qui se reproduit encore le lendemain avec de nouveaux morts.

    Mais les 600 soldats du 17ème RI, originaires de la région ( ce que le gouvernement ignorait ), se mutinent à Agde et, crosse en l'air, rejoignent sous les acclamations des émeutiers la ville de Béziers. Ils seront mutés, pour leur peine, à Gafsa dans le fin fond de la Tunisie, pendant que les meneurs seront arrêtés. Pas Marcelin Albert qui avait pu s'enfuir mais qui veut continuer à plaider la cause des paysans languedociens. Il se rend de lui-même à Paris le 23 Juin et demande à voir le Président du Conseil. Ce qui lui sera accordé mais le pauvre provincial naïf se fait rouler dans la farine par Clemenceau qui le renvoie dans le Midi avec un billet en poche et un message à transmettre à ses congénères, lesquels n'apprécieront pas. Puis le Tigre tourne en dérision, dans la presse, "ce petit paysan idéaliste", porte-parole des "Gueux du Midi".

    C'en est fini du mouvement de révolte qui aura pourtant des résultats car le gouvernement établira une surtaxe sur le sucre et une réglementation plus sévère sur le négoce du vin. Le maire de Narbonne, opportuniste, peut ainsi créer la Confédération générale des Vignerons du Midi qui sera, dès lors et grâce à Marcelin, plus facilement écoutée.

    Même s'il est mort dans la pauvreté et l'oubli, l'âme de Marcelin Albert flotte encore aujourd'hui au-dessus de chaque manifestation viticole du Languedoc-Roussillon.


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